S'échauffer la voix? A quoi ça sert?
Article d'Olivier Régin - Publié en 2020 - Modifié en 2024
L'échauffement vocal: pourquoi faire, comment et quand?
Que ce soit dans un cours de chant, avant une répétition, une audition ou un concert, l’échauffement vocal fait partie des habitudes de la plupart des chanteuses et chanteurs.
Pas de doute, on chante mieux après s’être échauffé la voix. Mais est-ce vraiment le résultat de l’échauffement en lui même, de ce qu’il contient? Au fond, ne pourrions-nous pas tout simplement chanter un morceau et obtenir les mêmes résultats? Qu’est ce qui fait qu’un échauffement vocal est efficace? Et que valent vraiment ceux que vous pouvez trouver par exemple sur Youtube?
Dans cet article, je vous propose de nous pencher sur ces questions, sur les conclusion des études sur le sujet, et finalement de voir ce qu’il conviendrait pour qu’avant de chanter, nous nous sentions véritablement…prêt.
L’article ci-dessous est une retranscription de la vidéo ci-dessus.
Je vous conseille donc tout simplement de la regarder!
Un échauffement vocal, c'est quoi?
À en croire les premier résultats Google, c’est in-dis-pen-sable. Il s’agit, pendant 20 à 30mn, avant de chanter nos morceaux, de réveiller notre voix et notre corps en faisant des étirements, faire des exercices de respiration et puis des vocalises, des exercices vocaux.
Éviter de se blesser ?
L’objectif étant aussi d’éviter de se blesser. D’ailleurs, dans tous les articles ou les vidéo sur le sujet, on remarque la comparaison faites avec le monde du sport: le chanteur serait « un athlète vocal » qui doit se préparer sous peine, sinon, de se faire mal.
Jouer sur nos peurs pour nous convaincre, c’est une stratégie très efficace. Pourtant, un bébé qui vient au monde est d’emblée capable de pousser des cris, parfois longtemps, avec un volume étonnant, et ce, sans se faire mal et bien sûr sans aucun échauffement. Quelques minutes dans une cours d’école suffisent pour se rendre compte de l’intensité, la richesse et la diversité sonore dont sont capables les enfants, sans qu’ils ne s’embarrassent au préalable du moindre exercice.
Le chanteur, cet "athlète vocal"?
Et si on me répondra (comme d’habitude) que « Nan, mais c’est pas pareil hein… Chanter ce n’est pas ‘crier’ quoi ». Euh… Non, ça c’est de la mauvaise foi: l’aspect esthétique n’a pas sa place si l’objectif qu’on donne aux échauffements, est de se préparer, d’être dans une recherche d’une meilleure performance vocale à venir.
Et restons un instant sur ce champ lexical: athlète, sportif, performance… tout ça renvoie à l’idée qu’il faudrait se muscler la voix.
Alors, oui, bien sûr, pour chanter il est question de muscles (entre autres). Mais le chant est bien davantage une question de mobilité, une capacité à exécuter et coordonner des mouvements précis et contrôlés. Grâce à une certaine force musculaire, fine, et un contrôle moteur de tous les éléments qui participent, le tout couplé à des qualités proprioceptives.
Faire des étirements: une fausse bonne idée
Dans les échauffements vocaux, cette recherche d’une meilleure mobilité, de mettre notre corps en mouvement, est généralement et surtout envisagée avec des étirements musculaires.
Sauf que, la mobilité n’est pas qu’une question de souplesse. Et même si c’est toujours sujet à débat dans le monde de la santé et du sport, tout le monde s’accorde au moins sur le fait que des étirements dits passifs – c’est à dire les plus populaires, où l’on étire un muscle quand il est au repos- sont d’une efficacité limitée.
D’abord, parce que notre corps va répondre à ces étirements par une contraction, le fameux réflexe myotatique. Résultat: on obtiendra l’effet inverse de celui qu’on recherche… encore moins de souplesse.
Et puis, il est généralement déconseillé de faire ce type d’étirement avant un effort et comme de toutes manières, ils n’ont aucune vertus “chauffantes”, ni effet protecteur, à l’arrivée, on comprend bien qu’ils n’ont pas leur place dans un échauffement vocal.
Pour plus de mobilité, le plus simple, c’est encore d’être véritablement et globalement dans le mouvement et pour ça…. Dansez! Lâchez-vous et faites vous plaisir quelques minutes. Sans aucun doute, c’est bien mieux plus sain et plus efficace, pour la tête et le corps.
Quels exercices pour s'échauffer la voix?
A présent, passons à tout ce qui implique une production sonore dans un échauffement. Et disons d’abord que malgré de nombreuses études sur le sujet, les mécanismes par lesquels cela affecte les paramètres physiologiques, acoustiques et aérodynamiques de notre voix, ne sont toujours pas bien compris.
Ensuite que, les études ne démontrent pas quels exercices seraient les plus efficaces. Elles notent qu’il n’y a pas de différence entre des vocalises traditionnelles et des échauffements avec des exercices issus de la rééducation vocale, de semi-occlusion, SOVT (Semi Occluded Vocal Tract ), exercice de la paille, etc.
Pour s'échauffer, "chanter" tout simplement?
Et à l’arrivée, et bien, on peut donc se demander si chanter tout simplement ne serait pas suffisant. D’autant que, toujours selon les études, le fait de s’échauffer ne diminue pas le risque de se blesser la voix. (Dans l’une d’elle, 1/4 des participants disent avoir des problèmes vocaux au quotidien, alors mêmes qu’ils s’échauffent systématiquement avant de chanter.)
Que faire comme échauffement vocal ?
Disons d’abord que ce doit être très personnel et répondre à des besoins particuliers. Une routine standardisée telle que proposée généralement dans des cours de chant notamment collectifs, ou dans des vidéos sur Youtube, n’a pas grand intérêt.
L'amalgame: apprentissage, échauffement et pratique
Et je vais aller plus loin en disant qu’elle peut s’avérer, en fait, assez contreproductive. Pourquoi? parce qu’on amalgame apprentissage, échauffement et pratique. Et ce faisant, les trois perdent leurs sens et leurs objectifs.
L’apprentissage, c’est l’acquisition de compétences. Convenablement apprises, elles vont se consolider, c’est à dire stockées en mémoire et devenir des automatismes, qui seront alors utilisés dans notre pratique, autrement dit « chanter des morceaux ».
Je pense que le besoin ressenti de s’échauffer la voix avant de chanter, est le témoin du manque de consolidation de certains apprentissages. Autrement dit, ce qui n’est pas bien appris. (Alors, bien sûr, je ne vous parle pas là du besoin qu’on ressent à s’échauffer la voix au réveil. Non, je parle du besoin ressenti de s’échauffer la voix, en général, avant de chanter)
Le besoin ressenti de s’échauffer la voix avant de chanter, est le témoin du manque de consolidation de certains apprentissages.
Prenons un exemple pour illustrer ça: lorsqu’on monte à vélo, généralement on sait qu’on peut partir tout de suite, qu’on ne va pas tomber après deux coups de pédales. Nos automatismes sont là. On sait qu’on sait faire. Le besoin de quelqu’un de se tester sur son vélo, de garder les pieds proches du sol de peur de tomber, comme le font les enfants qui viennent d’apprendre, démontrent que leurs automatismes sont encore fragiles. Et bien les échauffements vocaux, c’est ça: ils révèlent souvent une fragilité, qu’inconsciemment, quelque chose n’est pas clair dans ce qu’il faut faire.
Et si, plutôt que de s’en rendre compte, à chaque fois que nous voulons chanter nous produisons des échauffements, des exercices (quelle qu’ils soient), d’une part nous ne faisons que nous persuader qu’ils sont indispensables. Et d’autre part, ils vont combler un manque d’apprentissage, oui, mais de manière très temporaire seulement.
L'échauffement vocal dans un cours de chant
Tant que j’y suis, j’en profite pour dire que faire des exercices vocaux d’échauffement avant une séquence d’apprentissage (dans un cours de chant par exemple) ca n’a pas de sens. Apprendre, c’est partir d’un état de départ, où l’on ne sait pas faire ou bien faire quelque chose, pour arriver à un état de fin, où l’on a appris à mieux le faire. L’objectif étant de retenir les informations, les instructions qui permettent de passer d’un état à l’autre.
Et pour ça, notre cerveau, ce qu’il observe, c’est le contraste entre l’avant et l’après. Mais si avec des échauffements on modifie l’état de départ pour le rendre déjà plus satisfaisant, à l’évidence, on réduit le contraste. Et donc, on incite pas le cerveau à apprendre.
Ou alors, il va partir du principe que ce qui vient d’être appris doit être utilisé à la condition que des exercices d’échauffements ont été fait avant.
C’est d’ailleurs pour ça que des chanteuses/chanteurs pensent que l’échauffement vocal est pour eux indispensable. Ils ont été malgré eux, conditionné à devoir produire une routine d’échauffement avant de pouvoir chanter comme ils le souhaitent. Sans aucun doute, ils pourraient très bien s’en passer, comme le font plein d’autres chanteurs qui ne font jamais le moindre échauffement, et chantent… très bien.
Mais bon… Je sais bien que ce n’est pas demain à la veille qu’on ne verra plus d’échauffement au début d’un cours de chant. C’est bien trop ancré dans notre culture. Ca fait partie du plan de cours de la plupart des profs aujourd’hui.
Et puis, il faut le dire, ces échauffements vocaux… Les élèves, les chanteuses, les chanteurs, les réclament. Et on arrive là à parler de l’aspect psychologique.
L’aspect psychologique
Parce qu’en effet, souvent, nous nous échauffons la voix, aussi, parce que le contexte, la situation créé un certain stress, à l’idée de chanter devant quelqu’un.
C’est ce qu’a démontré une étude où les participants ont été invités à identifier les situations dans lesquelles ils éprouvent le besoin de s’échauffer. Les résultats montrent qu’on est plus susceptibles de vouloir le faire avant de chanter seul devant des gens, que lorsqu’on va chanter et qu’il n’y a personne, (par exemple chez nous, dans notre voiture, sous notre douche, etc) ou encore au milieu d’un groupe et on sait qu’on ne sera pas isolé.
Et on comprend bien alors qu’un échauffement vocal se justifie pour certaines occasions: avant de chanter à un concert, une audition, une ultime répétition… C’est vrai. Mais alors, il faut être conscient que cela sert peut-être plus à l’esprit qu’au corps (si toutefois on peut les séparer), pour se préparer mentalement, se recentrer sur l’activité vocale à venir.
Aussi parce que lorsqu’on monte sur scène, on ne peut pas dire à notre public « Ouai désolé hein, pour les 2-3 premiers morceaux, je serai pas dedans là… J’ai mal au bide, j’ai mal garé la bagnole ça me stress… Bref, ca va être laborieux quoi ».
Donc, il y a des situations où « s’échauffer » se justifie. Et d’autres où ca ne se justifie pas. Ça, c’est à chacun de le décider pour soi. Tout en étant conscient, encore une fois, qu’il ne faut pas cacher la poussière sous le tapis: que s’il y a des carences d’apprentissage, il faut y répondre par de l’apprentissage. Et non par de l’échauffement.
Et lorsqu’on ressent le besoin de s’échauffer la voix, de se préparer juste avant une occasion que nous estimons importante… disons que, plus que n’importe quelle routine impersonnelle, il est bien plus profitable de chercher en nous-mêmes ce qu’on pourrait faire pour qu’à la première seconde de notre premier morceau, on se sente globalement…« prêts ».
Et qu’importe que ce soit des sons bouche fermée, souffler dans une paille, explorer la mobilité de notre mâchoire, ou faire des auto-massages. Qu’importe qu’on chante tout simplement un extrait de morceaux ou qu’on cherche un silence méditatif.
Faisons ce qui nous plaît, ce que nous pensons le mieux pour nous. Conscients que, si nous avons réellement appris comment chanter nos morceaux, notre voix est probablement déjà « prête », et que notre mental s’apprête à l’être aussi.
