La respiration dans le chant: tout ce que vous avez toujours voulu savoir
Article d'Olivier Régin - Publié en 2018 - Modifié en 2021, 2022, 2023
Faire des exercices de respiration pour le chant
– Excusez moi, juste une question, vous faites quoi là ?
– Mes exercices de respiration! c’est important de savoir bien respirer pour mieux chanter…
– Bon, en attendant qu’il ait terminé, disons-le tout de suite: ce qu’il fait ne sert pas à grand chose.
– Mais on dit bien que pour chanter, il faut d’abord savoir bien respirer non ?
La méthode traditionnelle du chant part du principe qu’il est fondamental d’apprendre ce qu’elle considère comme une bonne respiration.
Oui, les exercices qui isolent l’appareil respiratoire du reste de la voix peuvent s’avérer intéressants dans un objectif d’observation et de prise de conscience. Mais si vous les pratiquez comme un simple exercice de fitness, cela vous sera bénéfique pour votre footing demain matin ou pour faire de la plongée sous-marine cet été. Pas pour votre chant.
La respiration abdominale
Selon les archéologues, le chant est probablement la première forme de musique. Des tablettes en argile d’il y a près de 6 000 ans avec des chansons écrites en notation musicale précoce démontrent que le chant était déjà pratiqué à cette époque.
Et peut-être même encore avant, nos ancêtres néanderthaliens chantaient déjà probablement en imitant des sons de la nature, le bruit du vent ou de l’eau, le chant des oiseaux et des baleines. Je ne crois pas qu’ils s’embarrassaient avec des questions de respiration abdominale.
De nos jours, il n’y a pas de culture humaine aussi éloignée ou isolée soit-elle qui ne chante pas. Et j’ai beaucoup de mal à imaginer aux quatre coins du monde, des individus se soucier de leur respiration à savoir si elle est abdominale ou si elle ne l’est pas.
Je crois surtout que tout le monde s’en fiche.
Si vous observez des chanteuses, chanteurs, qu’importe le style, vous les verrez tout autant hausser et abaisser leur thorax que gonfler ou rentrer leur ventre quand ils chantent. Parce que si en effet il y a différents types de respiration, aucun n’est bon ou mauvais.
Tout cela est géré par notre système nerveux qui sait bien mieux que nous ce dont nous avons besoin pour la tâche vocale que nous souhaitons faire. Il organise la prééminence d’un type de respiration sur l’autre, ou de manière simultanée en fonction de ce que nous voulons chanter. Il s’adapte à la situation.
D’ailleurs, il fait ça très bien pour le reste des activités de notre existence. Il serait vraiment curieux qu’il n’en soit pas de même pour le chant, qui n’est qu’une extension de notre phonation parlée de tous les jours.
S’ingérer volontairement dans le fonctionnement de la respiration lorsqu’on chante est inutile, voire franchement pas une bonne idée: si notre cerveau décide d’utiliser un type plus qu’un autre, c’est qu’il a ses raisons, qu’ils ne peuvent pas et ne devraient pas être déconsidérés ou outrepassés.
Les chanteuses, chanteurs, qu’importe le style, qui ont des pathologies vocales, des dysphonies, ce n’est pas qu’ils ne savent pas bien respirer, mais souvent qu’ils ont cherché à faire et appliqué une manière de faire totalement inadaptée à ce qu’ils chantent.
Apprendre par mimétisme: le "faites comme moi, je sais faire"
Votre prof, un·e ami·e “chante avec son ventre” et vous montre comment faire, comme elle/lui?
Il y a des études comme celle-ci qui ont été faites sur les mouvements musculaires et les volumes d’air utilisés par des chanteuses, qui ont reçu un enseignement semblable concernant notamment la respiration abdominale.
Dans cette étude, on leur a tout demandé de chanter la même phrase musicale. Et résultat, d’abord, chacune de ces chanteuses a sa propre stratégie respiratoire. De plus, elles pensent utiliser telle ou telle partie de leur corps pour respirer et chanter, comme on leur a appris, mais ce n’est pas ce que les capteurs qui ont été posés à différents endroits de leur corps ont enregistré.
Cette étude témoigne à quel point le système et la fonction respiratoire sont extrêmement complexes, à quel point les interrelations musculaires et l’organisation dans un contexte phonatoire sont encore mal compris de nos jours.
Elles démontrent que ce que nous croyons faire peut s’avérer bien différent de ce qui se fait véritablement. Alors je vous pose la question: devez-vous laisser quelqu’un qui ne connaît probablement pas sa propre respiration, vous expliquer et vous apprendre comment bien respirer, si à l’arrivée vous ferez quelque chose de différent de ce qu’il fait et de ce que vous pensez faire ?
Contrôler son expiration: l'appogio
Rappelons d’abord que ce qui va naturellement créer une résistance à l’écoulement de l’air, c’est la tâche vocale que vous produisez. Dans cette tâche vocale, il y a entre autres l’intensité, le volume sonore, la hauteur de la note, le mécanisme l’arranger, le phonème, l’espace dans votre conduit vocal, et la position des différents éléments qui le constituent.
C’est tout cela qui participe à la résistance de l’air lorsque vous chantez.
Contrôler son expiration est ce que le monde du chant lyrique appelle l’appui respiratoire, ou apogio. Pour faire simple, l’idée est de chercher à ralentir la remontée du diaphragme lorsqu’il se relâche de sa contraction, entraînant ainsi un allongement de la phase d’expiration, ce qui permettrait de tenir en effet une note plus longtemps. C’est probablement de là que provient le cliché de “chanter avec son diaphragme”.
Mais on voit bien que ce contrôle du diaphragme ne peut pas se faire seul. Il est nécessairement lié à la tâche vocale qui va créer une résistance à l’air.
De sorte que cet appui respiratoire peut avoir du sens dans le chant lyrique, où les tâches vocales sont relativement semblables, du fait d’une certaine recherche acoustique et esthétique d’homogénéité, notamment des mécanismes, des registres et des voyelles.
Mais dans les autres styles, où l’éventail esthétique est extrêmement large, et où à l’inverse du chant lyrique, toutes les sons, toutes les couleurs, tous les effets sont permis, et où l’homogénéité n’est pas forcément recherchée, ce contrôle de l’air n’est absolument pas fondamental.
Comme d’habitude, on essaye d’appliquer des notions de chant lyrique dans tous les autres styles musicaux. Comme si on voulait obliger des personnes qui pratiquent des danses de salsa, de tango ou de rock, à apprendre des pas de ballet classique en affirmant que c’est fondamental pour mieux danser quoi que ce soit.
C’est absurde, mais culturellement ça a toujours été comme ça dans l’enseignement du chant.
Et puis, cette technique de l’appui respiratoire, d’un contrôle du diaphragme, qui date de plusieurs siècles, même les plus grands pédagogues du chant classique n’ont jamais été d’accord entre eux sur le pourquoi et comment faire.
A l’arrivée, il existe un grand nombre de définitions et d’explications qui sont souvent peu claires et contradictoires entre elles.
Si bien que beaucoup d’artistes du chant (lyrique) s’en fichent complètement, de ce contrôle du diaphragme ou globalement de la soi-disant bonne respiration pour chanter, comme cette phrase célèbre d’Adelina Patti qui a dit: “Un diaphragme ? Mais qu’est-ce qu’un diaphragme ? Je n’en ai jamais entendu parler de ma carrière !“
Et cette dame ce n’est pas n’importe qui, c’est l’une des cantatrices les plus célèbres du chant lyrique. Elle avait une voix exceptionnelle et a fait carrière pendant plus de 50 ans. Nombreux grands compositeurs comme Verdi l’a considéraient comme la meilleure cantatrice qu’ils n’aient jamais entendu.
Et bien, Mme Patti, le contrôle du diaphragme et globalement la respiration, ça ne l’intéressait pas…
Le soutien vocal
Le soutien vocal, c’est souvent confondu et amalgamé avec l’appui respiratoire, mais c’est à mon sens différent.
Le plus souvent, c’est une implication musculaire, abdominale, thoracique et dorsale, visant à créer un ancrage, un support, une aide à la production sonore en général.
En cela, même si c’est lié bien sûr, ce n’est pas une question de respiration, de manière d’inspirer ou d’expirer l’air. Et surtout, le soutien n’est pas nécessaire à toutes les tâches vocales.
L’appliquer partout et tout le temps n’a aucun intérêt, en tout cas, pas dans le chant moderne.
Vos difficultés, vos problèmes... Faites entrer l'accusée!
Sans doute, les difficultés que vous rencontrez n’ont pas grand chose à voir avec votre respiration, qui de manière générale, à moins qu’elle soit produite de manière compulsive, ou que justement vous cherchez à appliquer une technique, s’adapte à votre tâche vocale et donc à ce qui se passe ailleurs.
C’est assez fou comme dès que quelque chose ne va pas dans le chant, la pauvre respiration, c’est toujours de sa faute. Lorsque vous manquez d’air, vous vous dites “Ah ben voilà, j’arrive pas, c’est bien ce que je disais, je ne sais pas respirer“. Mais c’est simplement l’unique ou principal retour sensoriel qui arrive en premier à votre conscience. C’est la nécessité vitale de reprendre de l’air que votre cerveau vous fait sentir et non la cause de vos difficultés. Juste une conséquence d’un manque d’organisation qui a lieu ailleurs.
Alors vous pouvez sortir votre panoplie d’exercices de respiration et vos pailles pour y remédier si vous voulez… Mais vous n’allez rien changer de manière pérenne.
Un discours de bon sens?
Vous pouvez penser que si le discours dominant préconise l’acquisition d’une bonne respiration pour mieux chanter, c’est qu’il doit y avoir une raison.
Vous pouvez ne pas adhérer à ce que je dis ici, mais il y a de quoi se poser des questions sur ces injonctions à devoir apprendre à respirer, et respirer d’une certaine façon plus qu’une autre parce que sans doute dans votre entourage, il y a des personnes qui chantent très bien sans avoir la moindre notion de respiration sans appliquer quoi que ce soit que vous tentez, vous, d’appliquer.
Sans doute comme nos parents, nos grands-parents et arrière-grand-parents dans nos régions de France, d’Europe ou aux quatre coins du monde! Sans doute comme la grande majorité des artistes que vous écoutez et tous ceux qu’eux-même ont écouté!
Que faire? APPRENDRE!
En général, concernant la respiration, je conseille de ne pas se préoccuper de comment on respire, de ne pas trop se focaliser dessus.
Mais ne pas s’en préoccuper ne veut pas dire ne pas s’y intéresser!
Dans les leçons de ma formation en ligne, je vous propose d’explorer votre mécanique respiratoire, les espaces qui rentrent en jeu dans votre respiration. En faisant cela, je vous invite à être à l’écoute de vos sensations, de mieux vous connaître pour pouvoir mieux vous utiliser.
Cela peut vous paraître un peu abstrait comme ça, je vous l’explique dans la vidéo ci-dessous.
