Apprendre à chanter et bien chanter: les (faux) bons conseils
Article d'Olivier Régin - Publié en 2022
Introduction
Apprendre à placer sa voix, apprendre la bonne posture et la bonne respiration dans le chant. Les exercices, les vocalises, et les échauffements vocaux. Des expressions comme « chanter dans le masque », « apprendre à placer sa voix » …
L’algorithme de google n’étant pas encore à même de démêler le vrai du faux, il se base sur le référencement et l’autorité des sites web pour fournir des résultats de recherche.
De ce fait, aux questions « comment bien chanter » ou » apprendre à chanter », on obtient en premières places des sites qui, en chant, n’y connaissent parfois pas grand chose.
Les explications et les conseils donnés proviennent de personnes dont l’enseignement trouve sa source dans des bouquins de plusieurs siècles et mélangent (pseudo)science, esthétisme, ressenti, pratique et apprentissage.
Partons à la rencontre des idées simplistes ou fausses les plus courantes sur l’apprentissage du chant, trouvées dans le top 10 des résultats Google.
Table des matières
La posture dans le chant
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi ça n'a aucun sens?
Il n’est pas compliqué de constater que dans d’autres cultures, sur d’autres continents ou dans nos régions, le chant et la danse sont intiment liés et nombreux styles musicaux, des plus anciens aux plus modernes, joignent les deux disciplines.
Et bien sûr, s’il s’agit de faire du nombrilisme, les pianistes ou guitaristes chanteuses / chanteurs vivent leur musique de manière très dynamique.
De ce fait, aucun chanteur ne reste statique, « bien droit« , ni ne garde « leurs jambes parallèles« , ni ne « bombe leur torse ».
Et dans une démarche d’apprentissage, une injonction à avoir une « position bien droite » a le plus souvent tendance à créer des tensions, l’apprenti cherchant absolument à gommer des courbures naturelles de la colonne vertébrale.
Bien évidemment, aucun fondement scientifique ne soutient une relation entre se tenir « bien droit » et chanter plus juste ou produire de « jolies notes« (Et qui décide ce qui est « joli »?).
La respiration dans le chant
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi ça n'a (presque) aucun sens?
Ce n’est pas tant comment on inspire qui compte, mais comment est utilisé cet air.
Puisqu’il parait important de parler uniquement de l’inspiration, de la prise d’air, disons-le: une « respiration correcte » n’existe qu’en relation avec la tâche vocale que l’on s’apprête à effectuer. Lorsque nous chuchotons, parlons ou crions, le cerveau organise notre respiration en fonction de cela.
S’il y a bien des types de respiration différents, du fait d’une certaine indépendance des muscles qui participent à l’inspiration, aucun type n’est bon ou mauvais.
Ce répertoire des types est géré par notre système nerveux qui sait bien mieux que nous de quel type nous avons besoin pour la tâche vocale que nous nous apprêtons à faire.
Le « commencez à apprendre à respirer profondément» en dehors de toute phonation, c’est à dire isoler le geste respiratoire du chant, peut s’avérer profitable dans une optique de prise de conscience de ce que l’on fait, mais guère plus. Les exercices qui consistent à vous faire compter un nombre de secondes lors de votre inspiration et faire de même sur l’expiration, ont probablement un intérêt si vous voulez faire de la plongée en apnée, mais moins du chant.
Enfin, vouloir vendre la bonne et seule respiration abdominale en la mettant comme condition sine qua non pour une intonation correcte (justesse), ne repose scientifiquement sur pas grand chose. D’autres variables du chant rentrent nécessairement en compte.
Que peut-on faire?
L’articulation et la diction dans le chant
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi c'est d'abord une question esthétique?
Si l’on en croit cet article sur anacours-musique.com, l’articulation est le Graal du chant! Articuler « correctement » permettrait de mieux maitriser son souffle, sa résonance, sa justesse, gagner en projection, en puissance, d’être mieux en rythme et même… de se muscler. En effet, c’est alléchant!
J’ouvre mon Spotify et j’écoute du James Bay, du Nirvana, du Gainsbourg, des lives d’Amy Winehouse, du Billie Eilish, du Guns n’ roses, du Radiohead, du Muse, du Lana Del Rey, etc. Je ne trouve pas qu’ils articulent beaucoup… Et je ne trouve rien à redire à leur « technique vocale », ca va sans dire!
Est-ce que si ces artistes avaient « articulé » davantage leur texte, ca nous plairait autant? Non. Imaginez Thom York de Radiohead articulant son morceau « Creep » dans lequel il dit qu’il se sent mal dans sa peau… Croyez-vous que ça aurait eu autant d’impact? Non.
C’est simplement de la communication humaine: cet absence d’articulation » sert l’interprétation et véhicule des émotions, installe une intimité, une proximité, presque un malaise, par une intention de « retenir » les mots.
Le fait d’articuler plus ou moins doit donc être en relation avec ce que vous souhaitez passer comme message et comme émotions dans l’interprétation.
« T’as compriiiiiiiiiiis??? »
Dans la Star Academy cuvée 2022, Laure Balon « offre un conseil précieux: en chant, l’émotion passe par la prononciation« . (je cite la légende de la vidéo)
Lors d’une répétition, Mme Balon conseille, en le mimant, à Julien d’articuler davantage, « d’ouvrir plus »!
Passons l’aspect hystérique de la pédagogie et le côté malaisant de la situation, pour voir que Julien le candidat ne semble pas franchement adhérer à ce qu’elle propose. (Ni les autres d’ailleurs…)
Si Julien « retient quelque chose« , s’il « ne s’ouvre pas« , ce n’est pas par peur comme Mme Balon semble le penser, mais d’abord parce que que ce n’est pas dans sa personnalité, dans son caractère. (C’est un autre débat, mais à quoi bon le forcer à être quelqu’un qu’il n’est pas?).
Fichez lui la paix! La culture musicale de Julien, son envie de chanter n’inclut tout simplement pas une articulation, une diction telle qu’on la retrouve dans certaines esthétiques du chant. Que ce soit du goût du Mme Ballon nous est bien égal.
Il m’apparait aussi que s’il n’ouvre pas plus la bouche, c’est qu’il a des restrictions de mobilité qui l’empêchent de le faire. Pas certain que des conseils comme « ouvre plus la bouche! » ou « articule plus! » soient bien judicieux. Cela l’oblige à pousser, à forcer sur sa voix…
Quelques jours plus tard, il est encore reproché à Julien de ne pas articuler suffisamment. Cette fois-ci, c’est sa langue qui est « un peu feignasse« …(sic)
Sans surprise donc, il n’a donc rien retenu des conseils de Mme Balon et je doute que ceux de la prof de chant y change quelque chose.
En voit ici les limites de ces modèles d’apprentissage: Julien n’appliquera jamais ce qui lui est proposé. D’une part parce qu’il n’a pas conscience de ses restrictions et d’autre part parce que ça ne lui correspond pas.
Nul besoin de regarder le prime du samedi soir pour savoir qu’il n’articulera pas plus que d’habitude.
« ta langue est une feignasse »
Que peut-on faire?
Cherchez à parcourir l’ensemble des possibilités de niveaux d’articulations, de la quasi absence (comme un ventriloque) jusqu’à une articulation excessive. Jouez avec ces extrêmes, sentez ce qui rentre en action lorsque vous faites cela. En quoi cela modifie le son, sa couleur, vos sensations, etc.
Trouvez où vous vous situez d’habitude et demandez-vous quel niveau d’articulation/diction le texte que vous voulez chanter devrait avoir pour, selon vous, être à propos.
Si malgré votre volonté d’articuler, vous ressentez un effort important à le faire, il faut vous tourner vers le pourquoi. Un manque de mobilité quelque part et c’est tout le système qui en pâti.
S'échauffer la voix avant de chanter
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi c'est exagéré et/ou à placer dans un contexte?
Il n’est nullement question ici de dire que l’échauffement vocal ne sert à rien. Mais faisons preuve de bon sens: lors d’un anniversaire, d’une fête, d’un karaoké, d’une réunion sportive, dans un lieu de culte, avez-vous vu quelqu’un s’échauffer la voix ou inviter les gens à le faire?
Est-ce qu’avant de chanter sous votre douche, vous vous échauffez? (Rassurez-moi…)
Est-ce que dans d’autres cultures à travers le monde et les siècles, les humains se sont échauffé la voix avant de chanter?
Cessons d’infantiliser les gens. Tout le monde comprend bien qu’il serait préjudiciable pour soi de se lancer dans un chant extrême au saut du lit.
Inutile aussi de faire peur aux gens en leur disant qu’ils vont s’abimer les cordes vocales. Et si c’est le cas, ce n’est pas à cause d’une absence d’échauffement, mais du fait de lacunes mécaniques.
Autrement dit, si l‘échauffement vocal doit servir à combler un manque, c’est que quelque chose n’a pas été (bien) appris.
Que peut-on faire?
Un échauffement vocal doit se faire (ou pas) selon le contexte:
– Avant un concert, un enregistrement en studio ou une prise de parole en public, il peut-être bénéfique de se « préparer ». Simplement parce qu’il est nécessaire d’être au top tout de suite et que le trac, le stress peuvent s’ingérer dans le fonctionnement de votre voix. Cette préparation est autant psychologique que physique. Certains artistes ne font rien d’autre que du silence: c’est leur besoin. Chacun le sien, chacun sa propre préparation.
– L’apprentissage nait de la différence entre un état initial et un état final. Lors d’un cours de chant, un apprentissage donc, en vous « échauffant » la voix, vous modifiez l’état initial du corps et de la voix avant d’apprendre quelque chose. Est-ce bien malin?
– Entre amis, en famille ou avec des inconnus, lorsque vous vous mettez à chanter, acceptez que ce que vous faites n’est pas forcement parfait tout de suite. Fichez-vous la paix et profitez simplement de l’instant!
Faire des exercices vocaux - Faire des vocalises
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi ça n'a aucun sens?
Dans la majorité des articles, il est de bon ton de comparer le chant à une activité sportive.
Et bien soit! Tout comme vous n’avez pas besoin à chaque fois de réapprendre à tenir en équilibre sur votre vélo pour pouvoir en faire, ou réapprendre à faire du ski ou encore nager, vous ne devriez pas dans le cadre d’un réel apprentissage devoir répéter indéfiniment des exercices pour accéder à des tâches vocales auxquelles vous aspirez.
Si nous devions ré-apprendre à faire du vélo à chaque fois que nous voulions monter dessus, nous n’aurions à l’évidence pas beaucoup de pistes cyclables.
Il ne s’agit pas de dire que vous n’avez pas besoin de répéter pour apprendre, mais dire qu’à un moment, si vous ne parvenez toujours à faire ce que vous souhaitez, ou devez passer 30mn d’échauffement et de vocalises pour enfin y arriver… vous êtes en droit de vous poser des questions.
Quant à l’argument musical, sur la nécessité d’apprendre à faire des gammes et des arpèges, c’est idiot! Dès leur plus jeune âge, nos enfants chantent sans faire de vocalises chromatiques, d’arpèges de Rossini ou de leçons du Vaccai. Leur cerveau se fiche bien de ces organisations et n’a certainement pas besoin de se « muscler la voix » par ce biais.
Que peut-on faire?
Apprendre à placer sa voix - Le placement vocal
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi c'est une grosse tambouille?
Encore une fois, on mélange sensations, physiologie et recherche esthétique.
L’expression « placer sa voix » a autant de définitions que de personnes qui la définissent. Celle du monde médical me semble la seule qui devrait l’emporter: elle consiste à dire qu’un bon « placement vocal » est une façon d’utiliser sainement sa voix. Ce placement « sain » se caractérise notamment par un équilibre de pressions au niveau des plis vocaux et globalement une absence de tension. Et ce, qu’importe le style de musique ou la tâche vocale.
Il serait dès lors plus exact de parler d’un geste vocal plutôt qu’un placement, car ressentir une vibration ou une résonance à un certain endroit du tractus vocal (conduit vocal), donner une certaine couleur ou une homogénéité dans tous les hauteurs ou les voyelles… n’est qu’une question de goût, de choix.
Chanter dans le masque
Ce qu'on peut lire:
Pourquoi c'est... idiot ?
Un son qu’il soit chanté ou parlé est composé d’une note fondamentale qui a une certaine vitesse de vibration exprimée en fréquence, et des harmoniques, qui sont des multiples de la fréquence fondamentale.
Ces harmoniques peuvent être classées dans des plages, des régions selon leur hauteur sur le spectre sonore, ce qu’on appelle des formants. Il est possible d’augmenter et/ou de réduire l’importance acoustique de certains formants dans le son.
L’expression « chanter dans le masque » est une image d’un temps ancien où pour des raisons acoustiques, il fallait se faire entendre d’une large audience et ne pas être couvert par l’orchestre.
Il est possible de faire cela en accentuant et en renforçant le second formant du son de la voix grâce à des modifications dans le conduit vocal, des placements et configurations d’éléments anatomiques de la voix. Cela accroit pour l’auditeur la perception de volume.
C’est le cas dans la recette du chant lyrique où en plus, ce boost du second formant prend place dans un espace de résonance élargit.
En terme de sensations, cela est le plus souvent perçu par une vibration, une résonance au niveau du visage. D’où l’expression « chanter dans le masque ».
Pour autant ce qui s’appliquait il y a des siècles pour des nécessités acoustiques n’est plus. Les musiques actuelles sont amplifiés. A moins que cela relève d’un choix, la recette esthétique du chant lyrique ne devrait pas s’appliquer aux autres styles.
N’en déplaise à l’auteur·e des lignes que j’ai repris au dessus, il n’y a aucun lien entre chanter dans le masque et un « bon » placement de la voix, ni un bon fonctionnement ou une question de santé vocale.
Aucune étude scientifique ne le démontre.
Le propos sur le « bon placement de la voix qui ferait éviter tout engorgement du son » et qui serait « une des clé pour un bon fonctionnement de la voix et pour sa santé » ferait presque sourire s’il n’illustrait pas -une fois encore- une certaine arrogance.
Que l’auteur·e des ces propos aille dire à des peuples et des cultures qui font cela depuis plus de 2000 ans, que ce qu’ils font n’est pas « sain » et pas « bien »!
Les chants et jeux vocaux gutturaux, de gorge qu’ils soient chez les inuits, les japonais, les tibétains, et même en Italie, en Inde ou en Afrique du Sud… existent depuis deux siècles av. J.-C !
Bien avant le chant lyrique, le Bel Canto, qui a pris ses origines au XVI e siècle,
« L’engorgement du son » est à la base de tout un pan des musiques du genre, sous-genres et dérivés du metal, qu’il serait bon en 2022, de ne pas oublier, parce qu’il est bien plus écouté et représenté aujourd’hui que le classique.
Qu’il se retrouve de plus en plus dans les auditions des émissions comme The Voice ou la Star Academy démontre qu’il serait bon ne pas l’oublier.
Mais que voulez-vous…. Les pédagogues du chant lyrique ont toujours décrété leur manière de produire un son comme seule « bonne » et saine.
Mais disons-le (bien fort): aucune étude scientifique ne démontre une prévalence de fonctionnement entre les styles et il n’y a pas plus de voix blessées dans le chant en musiques actuelles, traditionnelles ou folkloriques qu’en chant lyrique.
De sorte que « chanter dans le masque« , manière de donner plus de présence au son de la voix, reste et doit rester une question de choix esthétique dans votre chant.
Il est important que vous sachiez le faire, pas d’en faire un élément principal de votre son.
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