Depuis quelques dizaines d’années, on assiste à l’émergence de méthodes et approches du chant dont les plus connues: Complete Vocal Technique et Estill Voice Training. Cette dernière ayant donné naissance à Vocal Process au Royaume Uni, à la TCM en France, ou encore The Vocalist Studio aux États-Unis.

Elles partagent toutes la même ambition de déconstruire le processus de production vocale en isolant les structures ou les fonctions qui y prennent part. En étant capable de les contrôler consciemment, le chanteur serait en mesure d’obtenir le résultat sonore qu’il souhaite.

Sur le papier, cette idée est séduisante. Mais isoler des éléments (la langue, la mâchoire, le larynx, les cordes vocales, etc.) ne fonctionne pas vraiment car c’est oublier que notre corps est un ensemble systémique dans lequel les éléments interagissent les uns avec, et par rapport aux autres. Autrement dit, chaque élément qui rentre de près ou de loin dans la phonation fait partie d’un tout connecté à un ensemble indivisible. Il est illusoire de croire que de déplacer le larynx ne va avoir aucune incidence sur les structures proches ou éloignées qui y sont directement ou indirectement connecté, ou que le système nerveux ne va pas adapter en conséquence ne serait-ce que la fonction respiratoire ou la position de l’ensemble du corps.

Si l’on peut bien se douter que les auteurs de ces approches le savent bien, qu’en est-il de l’apprenant? Car c’est eux qui appliquent.

C’est d’autant plus important si l’on considère ce que les neurosciences nous ont permis de comprendre sur le fonctionnement de notre cerveau. Certes, nous avons tous une langue, une mâchoire, un pharynx, un larynx et des cordes vocales. Outre leurs différences en taille, volume et forme, nous adoptons des habitudes d’utilisation très diverses, fruits de notre vécu, de nos expériences et de nos apprentissages. Pour parvenir à une tâche vocale, chacun de nous aura une stratégie et un schéma d’action inconscient qui lui est propre.

Conçu pour pouvoir s’adapter, notre système nerveux se doit d’être fiable et adopte ce que l’ingénierie appelle la redondance: il stocke les mêmes informations à divers endroits et prévoit aussi en cas de défaillance, d’acheminer ces informations par différentes routes. Ainsi, pour chanter plus aigu par exemple, non seulement il y a de multiples manières de faire, mais il y aussi une infinité d’options qui existent pour accéder à chacune de ces manières. Il n’existe pas une seule façon de produire le twang (un des 3 principes de base chez CVT), mais une infinité de possibilité d’avoir un rendu sonore semblable par des agencements différents du conduit vocal. Etc.

Ces approchent pédagogiques ne peuvent tout simplement pas évoquer toutes les possibilités et incidences sur l’ensemble du corps. Elles se contentent de donner une recette « faites-ci pour obtenir cela » théorique et générale. Sans tenir compte de la singularité de chacun, de son vécu et les enseignements qu’il a reçu. Et surtout, sans l’avertir qu’il ne fera probablement pas ce qu’il lui est dit de faire, ni même ce qu’il pense faire… Parce qu’à l’évidence, un tel discours ne serait pas vendeur!

Il sera répondu que « oui, mais il y a des personnes chez qui ça fonctionne »… Bien évidemment! Heureusement et tant mieux! Mais au prétexte commercial de vouloir enseigner le chant avec des connaissances scientifiques, intellectuelles et théoriques qui rassurent dans notre culture moderne, on a oublié que le chant est probablement la première forme de musique, qu’il n’y a pas de culture humaine, aussi éloignée ou isolée soit-elle, qui ne chante pas et qu’aucune autre culture que la nôtre a eu la prétention de vouloir l’enseigner différemment que selon un processus naturel, complexe et progressif.

Il ne s’agit pas de dire que les connaissances scientifiques ne doivent pas être considérées, mais de convenir qu’elles ne devraient être qu’un support d’apprentissage, et non son véhicule. Car la schématisation simpliste n’est pas représentative du fonctionnement humain et peut, parfois dans son application, présenter quelques désillusions.

Une fausse bonne idée

Un système redondant

Conclusion